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L

    e trône était inconfortable, et davantage encore l'était la couronne qui ceignait son crâne : transmise au fil des générations, elle avait été conçue pour un homme de l'étoffe de ses ancêtres, le royaume n'ayant eu à sa tête que trop peu de femmes à son goût. « Votre Majesté ? » Elle était reine à présent, et la formule lui semblait encore étrange, d'autant plus que le sacre n'avait pas encore eu lieu. Une fois la victoire acquise contre l'ennemi, certaines priorités avaient été dressées, et les formalités d'un couronnement en grandes pompes n'en était pas une : il s'agissait d'abord d'abroger les lois infâmes promulguées par le tyran, rétablir un Etat stable et les comptes du Trésor, mais aussi décider du sort de la reine consort et de ses enfants. « Votre Majesté, il nous reste à pourvoir la fonction de bourreau avant l'exécution. Faut-il que j'organise des entrevues ? » Gabrelle se leva lentement, secouant la tête, avant de descendre la volée de marches qui la ramenaient vers le commun des mortels. « Le roi mon père disait que celui qui prononce la sentence devrait aussi manier l'épée. Le Traître, puisqu'il a été reconnu coupable de tous les crimes qui lui étaient reprochés, mourra de ma main seulement. Il nous faudra certes un bourreau royal pour d'autres occasions, mais celle-ci n'est que trop spéciale. »

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Au premier matin de l'hiver, la reine Gabrelle fut en effet la main de la justice. Le prisonnier avait été traîné hors des cachots par ses geôliers, qui l'avaient fait s'agenouiller devant l'estrade, exposé aux quolibets de la foule, sous une pluie neigeuse. Il n'avait supplié personne, pas même pour la vie de son épouse et de ses enfants, dont on avait seulement décidé l'exil, la reine ne souhaitant pas entamer son règne sur le thème de la vengeance privée. Quelques instants après l'arrivée du condamné, qui fixait sombrement ses anciens sujets, la souveraine parvint à son tour sur les lieux au sortir d'une porte dérobée ; elle avait délaissé ses robes pour une tenue d'homme, dont le long manteau battait ses mollets au rythme de ses pas énergiques. Un geste de la main, tempéré mais impérieux, fit taire les clameurs du peuple, tandis qu'elle s'avançait vers son oncle. « Le présent individu a été reconnu coupable d'avoir attenté, avec succès, à la vie de son souverain et frère, trois ans auparavant. Or, les crimes de régicide et de fratricide sont en ces lieux punis de la peine capitale. Willos Ellingsen, vous êtes donc condamné à mort par décapitation et moi, Gabrelle, reine de Vilhjalmur, exécuterai personnellement la sanction. » Le chant métallique d'une lame qui glissait hors de son fourreau glaça l'échine du roi déchu, qui serra les dents ; il n'avait plus rien à dire, et baissait les yeux en sentant peser sur lui le regard des dieux. Plusieurs membres de l'assemblée, les plus éminents notamment, reconnurent l'épée que la jeune femme élevait : le pommeau ciselé en forme de loup d'argent aux yeux rougeoyants était celui d'Hadrian, conservé par le Traître comme un véritable trophée de guerre, que sa fille avait retrouvé avec une émotion certaine.

La reine ferma les yeux un instant, devant l'ampleur de la tâche. Elle inspira une longue bouffée d'air froid, puis jeta un regard en biais à la foule qui s'était tue, guettant la fin du tyran. Enfin, ses bras, joints à la garde de la longue épée, s'abattirent précisément sur la nuque tendue, employant suffisamment de force pour la rompre d'un trait.

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