Bruno von Falk
« Il était jeune, maigre, avec de belles mains et de grands yeux. Elle remarqua la beauté de ses mains parce qu'il tenait ouverte devant elle la porte de la maison. Il avait à l'annulaire une bague faite d'une pierre gravée foncée et opaque ; un rayon de soleil parut entre deux nuages ; il joua sur le visage à la peau vermeille, éventée par le grand air et duveteuse comme un beau fruit d'espalier. La pommette était haute, d'un modelé fort et délicat, la bouche coupante et fière. »
Irène Némirovsky
Comme ses ancêtres avant lui, il répondit à l'appel de la guerre lancé par la Nation qu'il chérissait tant : lui et ses frères partirent un matin au combat, et ils ne revinrent pas. La Wehrmacht divisa la blonde progéniture : l'un fut immédiatement tué en Afrique, l'autre en Russie et la défaite jeta le survivant en pâture aux Alliés. Point suffisamment élevé dans les rangs pour bénéficier d'une précieuse immunité à l'issue du conflit, point suffisamment bas pour être oublié, Bruno dut payer le prix de son patriotisme. La peine de prison fut certes brève, de deux ans à peine, mais elle fut douloureuse : sa passion de musicien, écorchée ; sa vive santé, malmenée ; sa fortune, confisquée ; sa dignité, diminuée, lui qui fut autrefois si fier. Et le monde auquel il se heurta en quittant le bagne : dans cette Europe lancée sur la voie d'une laborieuse reconstruction, à la veille d'un conflit d'un nouveau genre, le soldat déchu peina à trouver la place qui devait être la sienne. Lui qui n'avait toujours rêvé que de nymphes, de Mozart et de Scarlatti, se réveillait à présent au son des éclats qu'il s'imaginait encore. La guerre avait gâché son talent de compositeur et dès lors, celui qui ne savait que manier l'archet et le clavier d'un piano, ou au contraire la gâchette d'un revolver, s'imaginait devoir apprendre l'art du maillet ou de la pioche, du marteau ou de la faucille, sinon périr.
Ce personnage est tiré de l'œuvre d'Irène Némirovsky, intitulée Suite française. J'ai repris des éléments du livre, ainsi que du film (dans lequel Bruno est interprété par Matthias Schoenaerts) mais j'ai remanié la suite de son histoire, car que je ne pouvais pas accepter l'idée qu'il mourrait éventuellement au front et que je devais trouver un moyen de l'intégrer dans mon univers ; éventuellement, car l'œuvre est incomplète, l'écrivaine étant décédée à Auschwitz en 1942 et les écrits ayant été publiés tels quels, annotations comprises, par sa fille en 2004.
En reprenant ce personnage, j'essaie simplement de rendre hommage à un roman, dont l'histoire, le contexte de rédaction et le parcours m'ont beaucoup touchée, mais je ne prétends évidemment le jouer exactement tel qu'il a été conçu.